Une grande quiétude dans le regard, elle sourit d’un air affable (je me rendrai vite compte que c’est un état constant chez elle),
Valentine Gauthier m’accueille dans une atmosphère paisible qui me gagne immédiatement.
Nous sommes au 58 rue Charlot, dans sa boutique du Haut Marais, dont la décoration me transite dans un imaginaire régressif : poutres apparentes et superbes voutes de pierre, des lapins, des ailes (qui sont un peu sa signature), des masques de zèbres … un espace entre onirisme et mythologie.
Et dans cet univers surréaliste s’amalgame une collection poétique, un véritable hymne à la nature, la faune, la flore, les éléments, les voyages, les civilisations… une sorte de clin d’œil à ses premières amours, puisque Valentine a fait des études en géo-ethnologie qui la destinait plutôt à devenir ingénieur en écologie.
Il en a été autrement dans ses choix de vie : après avoir suivi une formation en stylisme-modélisme à l’atelier Chardon Savard, elle fait ses armes dans de grandes maisons telles que Rochas ou Martin Margiela.
Qu’est ce qui anime Valentine Gauthier ?
La mode ne l’intéresse pas d’un point de vue « économique », mais plutôt dans le défi de parvenir à y contribuer, en travaillant dans le respect de l’être humain et des matières. La créatrice n’utilise que des matériaux naturels et est à l’affût des nouvelles technologies qui feront émerger de nouvelles matières « propres », répondant à une démarche responsable.
Sa contribution au bien-être collectif …
En Inde, elle travaille avec une entreprise, où elle a assuré la formation des ouvrières. La prouesse tient moins au fait que Valentine ait pu leur donner un enseignement écologique de leur travail, qu’à la découverte d’entreprises tenues par des femmes dans ce pays.
Elle les pousse à aller dans une direction éthique et écologique, les aide à se structurer à tous les niveaux (environnemental, social…), assainir les bases de leur travail. « C’est compliqué de leur expliquer pourquoi il est important de travailler dans une démarche écologique, alors même qu’elles sont accoutumées à vivre au milieu de déchets. A plus forte raison, lorsque la culture du fatalisme est bien ancrée » nous raconte-t-elle.
Des vêtements beaux et éthiques, ou la petite leçon de sourcing écologiques…
Les pièces réalisées sont toujours fabriquées dans le pays producteur de la matière première. Les vêtements de coton ou de soie, par exemple, sont produits en Inde. Elle y source d’ailleurs tout, du zip au bouton…
Lorsqu’elle utilise du cuir pour ses créations, elle s’assure que toute la chaine soit « propre » (tannage, teinture, eau recyclée…)
Elle sait qu’elle sera toujours confrontée à la problématique des puristes :
« L’utilisation du cuir, par exemple peut être remise en cause pour plusieurs raisons : le cuir utilisé provient des vaches qui ne mangent pas forcément bio, et qui, même si elles sont destinées à la consommation, polluent trop puisque l’homme mange trop de viande… », explique-t-elle.
Mais elle rappelle « On n’est pas des intégristes, on essaie de travailler de la façon la plus respectueuse et la plus responsable possible ». Ce qui est déjà un sacré combat en soi ! Pour la petite anecdote, Valentine pousse le « vice » du bio jusqu’à son alliance, qui est une J.E.L (Jewellery Ethical Luxury) , créateur de bijoux et de la joaillerie de luxe engagés dans le respect de la terre et des hommes.
Sa maille est originaire du Pérou et de Bolivie.
Au Pérou, le tricot est fait par les machines et le coton utilisé est le le Pima : c’est un coton qui pousse sur les hauts plateaux du Pérou, il est très vigoureux, exempt de pesticide, c’est un produit rare.
Valentine travaille aussi avec des associations de tricoteuses artisanales en Bolivie, où le tri des couleurs est fait main, à partir de laine Baby Alpaga. Elle arrive ainsi à obtenir une palette de teintes naturelles allant du blanc cassé au noir.
En France, elle travaille en partenariat avec des artisans locaux dont La Botte Guardiane , pour ses bottes et ses sandales. La confection des sabots est confiée au dernier sabotier français : Bosasabo, atelier artisanal et familial dont l’activité remonte à 1890. Ils utilisent du cuir à tannage végétal, du bois.
Les sujets qui fâchent et qui divisent dans la mode éthique étant légions, parlons un peu de la fourrure… une autre fois n’est pas coutume !
Encore, une polémique sur une matière qui suscite l’engouement. La créatrice travaille avec des artisans fourreurs, utilisant les peaux de lapins et chèvres. L’artisan a une traçabilité sur toutes les peaux et s’assure du respect des animaux. Elle s’insurge contre la fausse fourrure, qui sous couvert d’alternative pour la défense des animaux, utilisent néanmoins des procédés pétrochimiques, alors que le cuir est entièrement biodégradable.
Tout ce passionnant travail, n’est évidemment pas sans contraintes…
Pour être en phase avec la protection de nos amies les bêtes, elle a le projet de faire de la récup’ de fourrures en friperies pour les pièces qui le nécessitent. Mais la difficulté du vintage, c’est que les pièces sont souvent uniques ou en exemplaires devenus limités. Donc, si un prototype plaît au client, la livraison finale identique à 100% n’est pas garantie, puisqu’elle dépendra de ce qu’elle aura pu trouver et recycler.
Les délais de livraison sont une autre problématique qu’elle rencontre. Ils peuvent être longs, puisque, dans le principe du travail éthique, on ne met pas de pression sur les fabricants.
Ses clientes :
Quand le commun des écolos de la mode s’adresserait à une cible qui lui ressemble, Valentine est dans une démarche inverse : il y a une volonté de démocratiser la mode éthique, de vendre à des femmes pas forcément concernées par l’écologie, plutôt qu’entretenir un réseau d’initiés.
« Il ya la cliente qui sait ce qu’elle veut, celle qui va aller vers la pièce qui ne lui va pas, je vais donc essayer de ne pas la froisser et de la faire partir avec quelque chose qui lui plaît et qui lui va ».
En plus du conseil, Valentine exerce son métier de manière traditionnelle au sens noble du terme, elle va jusqu’à effectuer les retouches et ajustements sur le vêtement de la cliente lors de l’achat… à la mode des couturières d’autrefois.
Elle me dit avoir gardé son nom de créateur car « moi, je m’engage. J’engage mon vrai nom. Les marques que j’aime sont celles qui se prennent vraiment la tête…dans la recherche, dans la créativité, dans le développement etc. »
Quand on lui demande ce qu’elle pense du stéréotype « le bio c’est pour les riches », elle répond :
« J’essaie de ne pas être trop chère, je fais super attention aux marges, mais c’est sûr qu’on n’a pas de robes à 10€. On ne devrait d’ailleurs pas en trouver sur le marché. Un vêtement çà n’a jamais coûté « rien ». Comment les enseignes arrivent à faire des robes à 10€ ? Faire de la mode éthique écolo à des prix trop bas, ce n’est pas possible. La vraie question, c’est pourquoi on achète 10 pièces par mois au lieu d’une seule ? 10 pièces à 20€ la pièce, çà fait 200€ à la fin du mois, et c’est plutôt bas de gamme. Or une pièce à 200€, c’est une belle pièce de qualité et qui dure… Je pense que les enseignes influentes comme H&M devraient « taxer » leurs partenaires les plus polluants, une sorte de taxe carbone de l’industrie de la mode. »
Je vote Valentine Gauthier !
En plus de sa boutique, on peut retrouver ses créations dans une dizaine de points de vente en France : 66 (champs Elysées), Homies (Paris 18e), Neige (rue des martyrs dans le 9e ), Brand Bazar (en face du bon marché toujours à Paris), puis aux USA, Japon, Liban, Belgique, etc.
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